Seuls les pirates de Gaël Lépingle
Seuls les pirates dresse le portrait d’une zone périphérique de la banlieue d’Orléans, où l’on découvre les liens et les interactions entre plusieurs personnages. Géro est metteur en scène, comédien fondateur du Phare, théâtre de l’heure bleue qui lutte pour ne pas abdiquer (menaces d’expulsion, quotidien précaire). Il a perdu sa voix, il murmure, s’essouffle, vocalise, il n’est pas sans évoquer la figure d’Artaud. Émilie, une secrétaire de mairie vacataire attend une audience judiciaire pour récupérer son fils. Bienveillante et tenace, elle passe son bac en candidate libre. Désertant sa fac, Léo, le neveu de Géro est un jeune étudiant à la conscience politique aiguë, curieux de découvrir tous les métiers du théâtre. Madame Briard, élue, et urbaniste de la ville qui a été ironiquement baptisée « Suffisance ville » par Géro car transformée artificiellement à coup d’ « ateliers citoyens » et de performances artistiques « participatives ». Le réalisateur a su minutieusement relever le vocabulaire de l’aménagement du territoire et s’en amuse, à la fois visuellement (nombreux plans de zones commerciales et de leurs hideuses enseignes) et verbalement (poème déclamé par un conteur-agitateur public : « Oyé paysages du soir bancs publics maisonnées voisines témoins discrets de l’usure des hommes ce soir c’est fête et promesses horizons grands ouverts »). Documentaire et fiction s’entrecroisent et donnent un rythme très particulier au récit qui oscille entre le documentaire et la fable. Découpé en trois parties (Les bonnes volontés, Toutes voiles dehors et Ne pas mourir), musicalement bercé par les compositions de Moussorgski (Tableau d’une exposition), Seuls les pirates est un film à tiroirs, aux résonances multiples (attachantes, absurdes et politiques), autant d’états successifs qui font de ce deuxième long métrage de Gaël Lépingle un manifeste témoin de la rencontre entre la géo-poétique et la psychanalyse urbaine.
Fabien Vélasquez