Tout d’abord, essayons de nous souvenir de l’étymologie du mot « démocratie ». Ce dernier est composé de deux mots grecs : δῆμος / dêmos, signifiant « le peuple » et κράτος / krátos, « le pouvoir », «la souveraineté ». La démocratie est donc un régime politique dans lequel le peuple est au pouvoir, souverain. Dans une démocratie, les citoyens ne se distinguent les uns des autres que par leur mérite et ils possèdent la liberté d’expression, c’est-à-dire qu’ils ont la possibilité de s’exprimer de façon égale. Ces principes sont-ils respectés sur Internet ?
La liberté d’expression sur Internet
« L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire.»
nous disait Benjamin Bayart – ex Président de FDN, French Data Network -aux débuts d’Internet. En effet, c’est avec l’apparition d’outils simples tels que les blogs, les réseaux sociaux et les wikis que le Web devient véritablement participatif. Nous pouvons ainsi dire que grâce à la naissance de ces nouveaux outils web, la liberté d’expression dans les pays démocratiques devient quelque chose de réel : tout citoyen peut s’exprimer avec l’espoir d’être entendu. Un « quatrième pouvoir » est alors évoqué, celui de l’information, celui nous permettant de faire remonter à la surface des analyses, des critiques. Nous avons dorénavant la possibilité de faire fuiter des documents (cf. Wikileaks) et de dénoncer des scandales. Avec Internet, la société évolue : elle devient beaucoup plus ouverte, elle s’échange l’information sans avoir recours aux personnes qui en détenaient auparavant le monopole tels que les journalistes, les politiques, les patrons d’entreprises.
Internet a renouvelé les possibilités de critique et d’action (révoltes arabes), devenant une forme politique à part entière. Dans les pays non-démocratiques, les possibilités d’expression et de communication qu’offrent Internet font peur, et le gouvernement réagit de façon radicale. L’exemple le plus flagrant est celui de la Chine, qui, afin de préserver « l’intégrité » de son régime politique, choisit de bloquer certains sites et de censurer des informations (cf. les manifestations de Tian’anmen de 1989) avec un projet intitulé « Bouclier d’Or ». La Chine ne donne ainsi plus accès à tout Internet mais à une version d’Internet approuvée par le gouvernement. Cette censure est cependant plus ou moins contournable grâce à un VPN (Virtual Private Network, réseau privé virtuel) permettant l’accès à des ordinateurs distants comme si l’on était connecté au même réseau local. Ceci permet de passer outre d’éventuelles restrictions sur le réseau tels que des pare-feux ou des proxies.
Il y a donc dans certains pays, une tendance de censure d’Internet à des fins politiques. Dans les pays démocratiques, qu’en est-il des contenus ?
Les contenus sont-ils égaux sur Internet ?
Si tous les contenus postés sur Internet ne sont pas égaux en raison de la censure, les contenus non-censurés le sont-ils ? Afin de répondre à ce questionnement, il nous faut nous intéresser à la façon dont l’information nous est proposée sur Internet. De toute évidence, nous savons que pour chaque mot-clé saisi dans notre moteur de recherche, nous recevons plusieurs pages de réponses dont les contenus sont hiérarchisés. Généralement les algorithmes se basent sur 4 principes de hiérarchisation des contenus :
- Le tri par pertinence : les algorithmes tiennent compte de l’emplacement du mot-clé dans la page Web. Une plus grande importance est accordée au mot s’il est placé dans la balise <Title> (titre), dans l’adresse (URL) ou en début de texte. Le tri par pertinence tient également compte de la densité d’un mot dans une page, des mots mis en gras grâce à la balise <strong> ou insérés dans des balises <hn> ;
- Le tri par popularité : les pages sont classées en fonction de leur PageRank.
“Le PageRank est un indicateur de popularité d’une page […]. Il se fonde sur le nombre et la qualité des liens qui pointent vers la page.”
Sa valeur est notée sur 10 nous explique Pascal Maupas dans son ouvrage Google : arriver 1er par les mots-clés. Ainsi, plus une page est pointée par des liens provenant de pages populaires, plus sa popularité augmente, et plus son classement augmente ;
- Le tri par mesure d’audience (ou indice de clic) : plus une page est cliquée et plus elle est considérée comme pertinente par le moteur de recherche et aura donc une meilleure position dans le classement des résultats pour la requête similaire suivante. Cette méthode a été créée par la société DirectHit en 1998 ;
- Le tri par catégorie (ou clustering) : les pages sont regroupées en fonction de leur thème. Au sein de chaque thème, les pages sont préalablement classées par pertinence.
Même si ces quatre critères sont ceux que l’on retrouve le plus souvent dans les algorithmes de classement, ceux-ci peuvent varier en fonction du moteur de recherche utilisé et donc influencer les résultats d’une requête. Les méthodes évoquées ci-dessus sont utilisées par Google. Les algorithmes des moteurs de recherche sont régulièrement modifiés afin de contrer les méthodes des webmasters qui tentent de positionner leurs pages Web dans les premiers résultats via des techniques malhonnêtes.
Ces principes de classement et leurs fluctuations nous montrent bien que l’égalité des contenus sur le net n’est pas réel, notamment en ce qui concerne le référencement payant consistant à rémunérer certains moteurs de recherche afin que le contenu du débourseur soit en première place. Il est donc nécessaire aujourd’hui d’augmenter le niveau critique des utilisateurs par rapport aux manières dont l’information est classée. En ce qui concerne le référencement naturel (ie sans rémunération), le principe du classement des moteurs de recherche n’est pas mauvais en soi, et certains moteurs affichent une volonté de respecter les principes méritocratiques de la démocratie. En effet, Google utilise des mécanismes afin d’évaluer l’information qui semble la plus appropriée pour une recherche donnée. Les algorithmes accordent de plus en plus d’importance à la qualité rédactionnelle des articles publiés sur le Web, en d’autres termes il cherche à valoriser l’effort de rédaction fourni à travers l’analyse des tournures de phrases, du nombre de mots différents au sein d’un écrit, de la longueur des articles…
Quelle forme prend la gouvernance d’Internet ?
La gouvernance d’Internet est en fait multiforme puisqu’Internet est gouverné par de nombreuses « puissances » : ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), W3 (World Wide Web Consortium), IETF (Internet Engineering Task Force). C’est un modèle de gouvernance qui comporte trois caractéristiques principales :
- La perméabilité : Internet est perméable dans le sens où personne ne se préoccupe de l’identité des internautes
- L’auto-organisation et l’auto-gestion : il n’y a pas de représentant officiel d’Internet
- La recherche du consensus
Le 2 juillet 2012, une (courte) déclaration pour un Internet libre et ouvert est publiée par plusieurs organisations et activistes américains du net. Cette dernière a fait polémique et a donné naissance à une contre-déclaration émanant d’organisations conservatrices américaines qui reprochent à la déclaration initiale de créer une ambiguïté à propos du rôle de l’Etat… qu’ils ne souhaitent pas voir intervenir. Cet exemple montre combien il est difficile de s’accorder sur une gouvernance officielle d’Internet.
Conclusion
Si Internet contribue à une meilleure information des citoyens et à une plus grande transparence des actions du gouvernement (informations administratives, données publiques, programmes politiques des partis), cela n’est pas le cas au niveau mondial où la censure d’Internet porte atteinte aux concepts de neutralité et d’universalité. Internet n’est pas une solution à tous les problèmes politiques et peut même en créer au sein des démocraties existantes. En effet, avec l’évolution des objets connectés et du big data, le danger est de basculer vers une société de surveillance où la vie privée ne serait plus respectée…
En revanche, Internet apporte tout de même des avantages à la démocratie : grâce aux blogs et forums, ce réseau favorise le partage des idées et la rencontre d’individus ayant les mêmes convictions. Si l’on veut aller plus loin, Internet pourrait compléter la démocratie représentative en adoptant des votes électroniques déjà testés dans certains pays, afin de répondre au problème de l’abstention électorale croissante. Des avancées ont d’ores et déjà été faites pour faciliter et accélérer le fonctionnement démocratique grâce à Internet : le paiement des impôts en ligne, les pétitions contre la peine de mort aux Etats-Unis, etc. Ce système participatif semble pour l’instant mieux fonctionner dans certains pays que dans d’autres : si la campagne numérique d’Obama a permis à ses supporters de valoriser leurs contributions, en France les partis politiques et les institutions ont encore du mal à se saisir de ces modalités d’expression. Les formes de délibérations citoyennes organisées sur le net comme la démocratie participative de Ségolène Royal ou le débat sur l’identité nationale se sont révélées infructueuses. Selon Denis Muzet, sociologue spécialiste des médias,
« [le] partage de l’information via [Internet] va conduire à impliquer beaucoup plus les gens, va permettre de donner leur avis [et] modifier la chaîne de décision. »
Alors, pour certains pays, Internet pourrait-il faire basculer les systèmes politiques représentatifs vers des systèmes bien plus participatifs… ?
Sources et prolongements
Articles
Internet, un outil de la démocratie ?
Internet, un bienfait ou un danger pour la démocratie ?
Dominique Cardon, la démocratie Internet
Vidéos
La démocratie internet, mythe ou réalité ?
Vincent Cespedes – Internet, une révolution démocratique ?
Une contre histoire de l’Internet ou Internet et la démocratie
Internet et la démocratie – Pourquoi défendre la neutralité d’Internet ?