Internet et le numérique ont considérablement transformé le marché de la musique, facilitant la diffusion des œuvres via le téléchargement et le modèle biface des plateformes. On assiste depuis une dizaine d’années à une grande mutation de l’industrie musicale : si le vinyle marque son grand retour, l’objet du disque en lui-même est devenu obsolète et les ventes ne cessent de faiblir face à la hausse du streaming. Les acteurs de l’industrie (labels, producteurs, artistes) sont alors amenés à repenser leur mode de fonctionnement et développer de nouvelles stratégies pour s’adapter au nouveau marché.
Le streaming, comment ça marche ?
De l’anglais « stream », « courant », « flux », le streaming désigne la lecture de piste audio à mesure qu’elles sont diffusées sur Internet via une plateforme d’écoute. Il permet d’écouter de la musique sur ordinateur ou téléphone, sans pouvoir conserver les titres. Les plateformes de streaming se chargent de commercialiser la musique numérique auprès du grand public en proposant un ou plusieurs types d’offres. Le catalogue est aussi important qu’iTunes (des millions de références), l’accès y est gratuit ou se fait par abonnement payant mensuel (9,99€) pour un accès illimité et sans publicité. Les revenus du streaming proviennent donc des abonnements des utilisateurs, et des annonceurs via la vente d’espaces sur le site.
Trois plateformes dominent le marché mondial: l’entreprise suédoise Spotify, numéro 1 avec plus de 20 millions d’abonnés et 75 millions d’utilisateurs, l’américaine Apple Music avec plus de 10 millions d’abonnés (la plus récente et qui ne fonctionne que par abonnement), et la française Deezer avec plus de 6 millions d’abonnés et 16 millions d’utilisateurs. Deezer domine le marché français, générant 50% des revenus du streaming contre 11% pour Spotify, en 2014. Le streaming est un canal de diffusion essentiel, de plus en plus rentable, et l’on peut penser qu’il tend à devenir le principal mode de consommation de musique, voire l’unique.
En France
Le streaming est indéniablement devenu le nouveau levier de croissance de la musique, avec une hausse de 45% des revenus générés l’an dernier par rapport à 2014. Les Français sont aujourd’hui 3 millions à s’être abonnés à des sites de streaming type Spotify, Deezer, ou Apple Music. Le secteur est en pleine expansion même si des questions se posent encore quant à l’équilibre financier des acteurs. 71% des revenus proviennent des abonnés (inscrits à un site ou indirectement via leur forfait téléphonique), permettant une bonne rémunération des producteurs et des artistes, mais qui ne suffit cependant pas à combler la baisse constante des ventes de CD, qui constituent encore l’essentiel de leurs revenus. En 2015, le chiffre d’affaires global de la musique enregistrée en France a connu une nouvelle baisse (-4,7%), principalement en raison du recul de 15,9% des ventes physiques (CD, vinyles, DVD), qui représentent encore près des deux tiers du marché de la musique, selon le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP).
Aux Etats-Unis
En 2015, le streming est devenu la principale source de revenus pour l’industrie musicale aux Etats-Unis, qui représente désormais 34,3% du chiffre d’affaires. Il s’agit là d’une forte hausse, la part du streaming n’étant que de 7 % en 2010, et de 27 % en 2014. Selon Guillaume Leblanc, président du Snep, « le marché est plus mature aux Etats-Unis », et l’ont peut donc présager que la croissance du streaming finisse aussi par couvrir le déclin des ventes des téléchargements numériques et des ventes physiques en France. Le marché du streaming aux Etats-Unis a cru de 0,8 %, pour atteindre 4,95 milliards de dollars (4,42 milliards d’euros), sa cinquième année consécutive de hausse du chiffre d’affaires. Comme en France, l’essentiel des revenus générés provient des abonnements.
Mais s’ils génèrent plus d’argent, les abonnés sont en réalité peu nombreux par rapport au nombre total d’auditeurs, notamment en France. L’enjeu à moyen terme est donc de convertir davantage les auditeurs en abonnés, afin de générer plus de revenus et mieux rémunérer les acteurs de la création.
Outre le streaming, d’autres pistes sont à explorer et combiner
Contrairement au CD, le vinyle a le vent en poupe dans un contexte de mode généralisée du « vintage ». Les ventes de vinyles ont augmenté de plus de 40% au premier semestre 2014, et continuent de progresser pour la quatrième année consécutive, jusqu’à représenter 2,3% du marché physique en volume. La musique étant désormais accessible à tous en format numérique, il est intéressant de proposer des formats complémentaires originaux comme le vinyle ou la cassette, des objets tangibles vendus en quantité limitée, que les fans pourront admirer et collectionner. Certains labels intègrent aujourd’hui la cassette dans leur stratégie de promotion en jouant sur la rareté ; d’autres défendent une certaine esthétique en sortant les productions en digital et en cassettes ou vinyles uniquement. En 2014, Sony a même créé une cassette de stockage de 185 terrabytes pouvant contenir plus de 64 millions de morceaux, soit huit millions de jours de musique.
La diversification des activités ou stratégie 360° consiste pour un label à développer des activités complémentaires à la production et la vente de disques pour créer des sources « multirevenus ». Pour palier la crise du disque, les tournées, les synchronisations (vente d’un morceau utilisé pour un film ou une publicité), les produits dérivés, ou encore les partenariats avec les marques permettent d’assurer d’autres revenus.
Enfin, placer la relation artiste/fan au centre de la stratégie marketing à travers le direct-to-fan apparaît également comme une piste non négligeable. Si la gratuité est la norme, la fidélisation des fans et la relation de confiance établie grâce à la communication peuvent entraîner l’acte d’achat, en proposant des produits rares ou des expériences uniques. On pense alors aux recherches de Paul Booth qui s’est intéressé à la culture fan, pour qui le fan appartient à une communauté où l’économie du don (« digi-gratis economy ») prévaut, impliquant une économie de la récompense et du cadeau pour les fans. Sur Bandcamp par exemple, le label ou l’artiste peut choisir de mettre en vente son morceau ou son EP à prix libre (0€ ou plus, 10€ ou plus…) et il n’est pas rare que certains paient davantage pour soutenir l’artiste.
Marine Keller
Sources & prolongements
-La musique en 100 labels, Tsugi Magazine, hors‐série n°6, juillet‐août 2013
–Don’t Believe the Hype le blog de Virgine Berger (industrie musicale, stratégies marketing)
-Paul Booth, Qu’est-ce que la culture fan?, Ina Global
Le marché du streaming :
–Le streaming, nouveau relais de croissance de l’industrie musicale, L’Express
–Le marché du disque toujours en baisse en 2015, le streaming en hausse, La Croix
–Apple music vs Spotify, Digital Trends
Les alternatives:
–Do it yourself et direct-to-fan, deux alternatives, Don’t Believe The Hype
–Urban Outfitters, l’un des plus gros vendeurs de vinyles au monde, Les Inrocks
–Sony invente la cassette du futur, Les Inrocks