Dans l’article qui va suivre, je vais vous résumer le texte « Portrait du pirate en conservateur de bibliothèque », écrit par Joël Faucilhon et issu du livre Read/Write Book, Le Livre Inscriptible, paru en 2010.
Joël Faucilhon nous livre ici son point de vue concernant le piratage et la conservation d’œuvres protégées par le droit d’auteur à l’ère du numérique.
Le P2P (Peer to Peer)
À l’époque où Joël Faucilhon écrivait ce texte, c’est-à-dire en 2009, beaucoup de personnes utilisaient ou du moins connaissaient BitTorrent, un protocole de transfert de données pair à pair (P2P) à travers un réseau informatique, qui remplaçait les logiciels comme eMule ou Kazaa alors grandement en perte de vitesse. En effet, les pirates se tournaient de plus en plus vers cette plateforme pour télécharger illégalement des œuvres protégées par le droit d’auteur (musiques, films, livres, etc). Les réseaux BitTorrent permettaient de télécharger des contenus plus rapidement et sans surveillance de l’État, contrairement aux logiciels précédemment cités qui présentaient souvent des virus, des faux fichiers et dont les utilisateurs étaient souvent fliqués.
Les œuvres littéraires sur les réseaux P2P
Pour pouvoir télécharger des fichiers via BitTorrent, il faut se rendre sur des sites comme The Pirate Bay ou Torrentz, très populaires auprès des pirates. On y trouve toute sorte de contenus sous droit. Ces sites proposent même des collections entières de revues scientifiques et techniques. C’est par exemple le cas des éditions O’Reilly, éditeur spécialisé dans la publication de livres techniques aux États-Unis et en Europe. On peut en effet télécharger illégalement via BitTorrent les plus de 400 livres de cet éditeur. Alors que certains (cf. Denis Olivennes) affirment que le téléchargement illégal tue la plupart des industries, comme l’industrie du livre et l’industrie musicale, en engendrant un manque à gagner colossal, le fondateur des éditions O’Reilly, Tim O’Reilly, affirme que le téléchargement illégal ne constitue pas un problème pour lui et qu’il est même un vecteur de vente de livres physiques.
Une nouvelle génération de pirates
La plupart des œuvres littéraires sont mis à disposition sur ces sites par des petites équipes qui s’occupent au préalable de scanner ces œuvres, les trier, les classer et les référencer. Pour Joël Faucilhon, il faut voir plus loin que le simple partage illégal. Les membres qui constituent ces groupes ont des « réflexes de bibliothécaires » et ils prennent beaucoup en considération la qualité des œuvres avant de les partager avec les internautes. Ces pirates créent donc des collections d’œuvres (littéraires mais aussi musicales et cinématographiques) qu’ils jugent intellectuellement bonnes : films d’auteur, documentaires, revues scientifiques, ouvrages philosophiques, etc. Ils ne sont pas du tout animés par une quelconque volonté de mettre à mal les industries.
La gestion des droits numériques
Pour lutter contre le téléchargement illégal des œuvres présentes sur les réseaux peer to peer, les industries musicales et cinématographiques avaient mis en place des verrous numériques (DRM : Digital Rights Management) pour empêcher, par exemple, la copie d’un disque sur un support physique, ou le transfert d’un film sur un second appareil. Ce système devait empêcher la présence d’œuvres protégées sur les réseaux BitTorrent, mais ce fût un échec total, car on pouvait facilement se débarrasser de ces verrous. Par ailleurs, au moment où les industries musicales et cinématographiques abandonnaient de plus en plus ce système, des sites de vente en ligne proposaient des œuvres littéraires « protégées » par ces verrous, ce qui fut complètement paradoxal et absurde.
Légiférer sur les réseaux P2P ?
Les réseaux P2P se développaient de plus en plus, ce qui posait beaucoup de problèmes aux gouvernements à l’échelle mondial, qui renonçaient tous à surveiller les téléchargements. À l’exception de la France qui, à l’époque, tenait réellement à lutter contre le téléchargement illégal en mettant en place la loi Hadopi (et comme nous le savons tous aujourd’hui, cette loi a été abandonnée il y a 2 ans, suite à un échec retentissant). Par ailleurs, il est très difficile de mesurer les pertes financières éventuellement engendrées par le téléchargement illégal. En ce qui concerne l’industrie musicale par exemple, on dit souvent que c’est bien le piratage qui a causé la crise du disque. Or, certaines études auraient montrées qu’au contraire, le téléchargement illégal est bel et bien bénéfique à l’industrie musicale.
La fragilité du numérique
Les pirates « collectionneurs » ont pris conscience de la fragilité du numérique. Si aujourd’hui on sait combien de temps peut se conserver un livre ou un CD, on n’en sait rien sur les fichiers numériques. D’autant plus que la majorité d’entre nous stocke l’intégralité de nos fichiers en un seul exemplaire sur un unique disque dur, sans se préoccuper de la durée de vie de ces supports et sans nous rendre compte qu’un jour, ils pourront tous simplement ne plus s’allumer. C’est pour cela que les pirates enregistrent les fichiers sous des formats ouverts, pérennes dans le temps, avant de les partager sur les réseaux P2P. C’est ainsi que nous pouvons comparer ces pirates à des « conservateurs de bibliothèques ». Ils essayent de donner accès à des œuvres sur le (très) long terme.
Pour Joël Faucilhon, c’est ici que se trouve un certain paradoxe. Les pirates qui violent tous les jours les droits d’auteur pour conserver et partager des œuvres protégées seront-ils un jour la roue de secours des éditeurs, des auteurs, etc, qui auraient perdu les copies de leurs œuvres ? Seront-ils la seule chance de survie du savoir numérique ? Selon Joël Faucilhon, « Le but n’est pas de donner une image idyllique du “pirate” sur internet, puisqu’il enfreint de manière systématique les lois sur le droit d’auteur, mais de mettre en relief certaines réalités qu’il semble absurde d’ignorer plus longtemps… ».