Le Monde, Les Echos, Le Figaro : tous ces titres, issus de la presse papier, disposent d’un site Internet. Pour atteindre un large public, il est devenu impossible pour les médias de se dispenser du numérique. En effet, selon une étude de GroupeM, agence digital marketing, le temps passé sur les médias sur Internet (3h32 en moyenne par individu en 2017) dépassera en 2018 celui passé sur la télévision linéaire (3h42 en moyenne par individu en 2017). De plus, le baromètre des médias du site de La Croix montre que 25% des Français s’informe principalement sur Internet. Ce résultat en fait la deuxième source d’information du pays, derrière la télévision. L’intérêt de la presse pour les outils d’informations numériques n’a donc rien d’étonnant.
Des fournisseurs d’audience
Un site Internet ne suffit pas à acquérir une audience importante, les réseaux sociaux ont pris un rôle de redirection. D’après une étude de Médiapart menée sur 400 médias, en juin 2015, Facebook a dépassé Google en ce qui concerne l’acquisition de trafic. En effet, le réseau social représentait 43% du trafic de ce panel, tandis que Google pesait pour 38%. Twitter était quant à lui en 4e position, juste derrière Yahoo. Par ailleurs, en 2016, Twitter a changé de catégorie sur le Play Store, passant de la section « réseaux sociaux » à « actualités ». De plus, qu’il s’agisse d’informations de qualités ou non, les réseaux sociaux sont la principale source d’information pour 19% des Français, ce qui les place juste derrière les sites de la presse écrite. Par conséquent, les médias doivent être présents sur les réseaux sociaux dont ils sont dépendants pour obtenir l’attention les lecteurs. Cela explique la grogne des médias lorsque Facebook a annoncé tester la séparation des contenus des pages professionnelles du fil d’actualité. Cela aurait représenté une importante baisse de visibilité. Finalement, Facebook a renoncé à ce changement.
L’une des sources de revenus de Facebook est le sponsoring de publications. En réduisant leur porté, le réseau social aurait diminué l’efficacité et donc l’intérêt d’un investissement dans une publication. C’est pourtant ainsi que fonctionne Snapchat. La presse se trouve dans l’onglet Discover, séparé du contenu personnel des utilisateurs. Mais pour accéder à cet espace, les médias doivent respecter les critères du fantôme. Effectivement, le réseau social sélectionne les médias pouvant accéder à Discover. Ainsi, France Info n’est plus disponible dans ce module car le contenu produit ne correspondait pas à la charte de Snapchat.
Les médias oubliés des internautes
Si le référencement de Google nécessite le respect de certaines règles qui influent sur les médias, c’est également le cas des réseaux sociaux. Étant donné que le trafic vient pour beaucoup de ces derniers, les médias doivent créer leur contenu en fonction de leurs algorithmes et contraintes techniques, comme les 280 caractères de Twitter. Pour Facebook comme pour Twitter, les contenus natifs sont privilégiés, notamment le live, vidéos en direct. À noter que les vidéos sont souvent au même format (sous-titre, lettres jaunes ou vertes, carrées ou verticale, etc.). Qu’il s’agisse des vidéos, des images ou des textes, les contenus proposés se ressemblent, ce qui entraîne une perte d’identité des médias. Résultat, les utilisateurs se souviennent de l’information, mais pas forcément de la source. En effet, le Digital Report 2017 de l’institut Reuters aborde le sujet de la correspondance entre l’information et la source. Il en ressort que les individus qui s’informent directement sur le site s’en souvienne à 81%. Mais lorsqu’il s’agit d’accéder à l’information à partir des réseaux sociaux, seulement 47% des répondants parviennent à citer la bonne source. Cependant, cette étude montre que ce problème est moins présent pour les journaux les plus connus. Par ailleurs, les 18-24 ans obtiennent de meilleurs résultats que les populations plus âgées, mettant en avant une question d’habitude d’utilisation des réseaux sociaux. Par conséquent, les jeunes médias doivent se différencier à l’aide d’une identité visuelle forte.
La presse à la recherche de financement
L’impact est également économique. Les réseaux sociaux sont courtisés par les régies publicitaires pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils sont capables de cibler avec précision les clients potentiels. Ensuite, ils représentent une part importante du temps passé en ligne. Ces géants du web captent donc une grande partie des revenus publicitaires, qu’ils partagent ensuite avec leurs utilisateurs professionnels. Le financement des sites médiatiques dépend alors de leur capacité à s’adapter aux contraintes techniques de ses plateformes. Mais cette situation est amenée à évoluer. D’après le compte-rendu de Digibay du rapport d’Axel Springer, les médias sont optimistes quant à l’instauration d’un modèle par abonnement afin de réduire leur dépendance à la publicité.
C’est la ligne suivie avec succès par le New York Times. En 2011, les revenus publicitaires représentaient la moitié du chiffre d’affaires. Cette année, ils ne comptent plus que pour 30%. Marks Thompson, le PDG du journal, a annoncé cumuler un total de 3.7 millions d’abonnés, formule numériques, papier et mixtes incluses. Les souscriptions ont pris le pas sur la publicité pour atteindre une part de 63% du chiffre d’affaires. Cette réussite peut être expliquée par la réduction du nombre d’articles gratuits en ligne. Ce changement a conduit les lecteurs à s’abonner pour continuer d’accéder à ce contenu.
Actuellement, l’exemple du New York Times est une exception. Suivre un modèle par abonnement à l’ère du tout gratuit n’est pas évident. Pour l’imposer, les médias sont confrontés aux fournisseurs d’informations gratuites. D’après le Digital News Report 2017, 54% des individus qui ne payent pas pour s’informer le décident car ils ont un accès gratuit aux informations en ligne. Faire prendre conscience du coût de l’information semble être un enjeu de poids pour la presse, mais ce n’est pas le seul. Après tout, pourquoi payer pour une information non vérifiée ? En effet, seulement 24% des Français estiment que les réseaux sociaux font un tri efficace entre les fausses informations et les véridiques. C’est un paradoxe au vu du poids de ces réseaux dans l’information de la population.
Coopération entre médias et réseaux sociaux
Même si Mark Zuckerberg a exprimé ne pas vouloir faire de Facebook un média, plusieurs initiatives ont été lancées afin de lutter contre la désinformation. Au début de l’année 2018, un sondage a circulé auprès des utilisateurs Étasuniens afin qu’ils puissent classer les médias qu’ils considèrent fiables ou non. Cette tentative est discutable puisqu’elle repose sur la perception générale des médias qui n’est pas nécessairement un point de vu d’experts. Le réseau social s’est ensuite associé avec des fact-chekers indépendants afin de contrôler la véracité des informations. Si ces dernières étaient identifiées comme douteuses, un panneau d’avertissement permettait aux utilisateurs de les distinguer et des liens menant à d’autres sources leur étaient proposés. Le but selon Adam Mosseri, responsable du fil d’actualité de Facebook, était de laisser le choix de croire ou non aux informations lues. Malheureusement, cette mesure a eu l’effet inverse. Les contenus jugés faux ont vu leurs partages augmenter de 80% selon le réseau social. En conséquence, au lieu de rendre les publications plus voyantes avec un panneau rouge, Facebook change de tactique et réduit la taille de ces informations douteuses.
Les fake news sont un problème qui discrédite l’ensemble des médias. Il est donc normal que ces derniers collaborent avec les réseaux sociaux afin d’y remédier. Ainsi, Facebook rémunère certains médias, dont Libération et Le Monde, afin de vérifier des informations. Le journal Libération explique que les médias participants reçoivent une liste de liens menant à des post signalés par l’algorithme ou les utilisateurs. Les journaux sont ensuite chargés de la rédaction d’articles qui infirment les propos douteux. Ces contre-articles se voient alors épinglés aux post concernés.
Facebook, Twitter ou encore Snapchat sont devenus des caisses de résonance pour les médias. Du fait de l’importante part de la population qui s’informe sur les réseaux sociaux, ils leur sont indispensables à l’acquisition d’un trafic suffisant au financement de leur activité numérique. Certains journaux tentent de réduire leur dépendance à la publicité et aux réseaux sociaux en favorisant les abonnements. Mais la réussite de ce modèle reste encore marginale. Ainsi, peu importe leur ligne éditoriale, les journaux sont contraints de se plier aux critères imposés des réseaux sociaux. En raison de ce formatage, il est parfois difficile d’associer une information à une source précise. Il est donc nécessaire pour les médias de travailler une image forte afin de préserver leur identité. Par ailleurs, l’un des enjeux majeurs pour les médias est de préserver leur crédibilité. Les fake news rendent la population méfiante envers la presse. Afin de les faire reculer, les réseaux sociaux travaillent en association avec les médias. Qu’il s’agisse d’audience, de revenus, d’identité ou de crédibilité, les réseaux sociaux obligent les médias à évoluer.