Pratiques du numérique et construction cognitive

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Les avancées technologiques ont toujours engendré des réactions mues par la peur.

L’innovation rapide, tout bouleversement dans les habitudes et les mœurs, sont accompagnés de la crainte d’une diminution d’autres compétences, de la perte d’autres savoirs.

Or, les technologies du numériques n’ont jamais autant avancé que durant ces vingt dernières années. La technologie s’est immiscée dans nos vies, et le numérique, les objets connectés servent à chaque aspect de notre quotidien. Nous laissons les enfants accéder à des plus en plus d’outils numériques, et de plus en plus tôt. Et, comme lors de chaque changement donc, et, de la même façon qu’avait Platon de craindre que l’enseignement de la lecture et de l’écriture ne signifie la perte de la mémoire, nombreux sont ceux qui redoutent que l’usage du numérique affectent les mécanismes de la pensées, et les capacités cérébrales.

 

 

 

Télévision, jeux vidéos et violence

 

Le jeu vidéo surtout, est souvent montré du doigt, accusé d’influer sur le cerveau et de rendre violent, de donner un mauvais exemple à suivre à ceux qui le pratiquent dans leur enfance.

Nombre de scientifiques et de psychnalaystes ont tenté de répondre à la question de l’influence des jeux et de la technologie en général sur le développement cognitif et émotionnel et l’apprentissage des enfants. Plus que jamais les querelles entre plusieurs camps sont d’actualité, et les recherches et études continuent de se multiplier sans que tous parviennent à se mettre d’accord sur le résultat de ces pratiques sur la construction du cerveau.

 

D’un côté, les études tendant à prouver que la pratique du jeu vidéo tendrait à isoler les individus et à les enfermer dans une logique de violence sont légion.

Ainsi, une étude publiée en 2008 démontrerait que «les jeux vidéo violents stimulent chez les adolescents l’activité des régions du cerveau liées aux émotions et réduisent les réponses des zones où siègent le raisonnement et le contrôle de soi» . De même, un radiologue amécicain, Vincent P. Mathews, serait parvenu à mettre en évidence à l’aide d’un IRM que des adolescents ayant joué pendant 30 minutes à un jeu vidéo violent «ont montré une plus grande activité dans l’amygdale, siège de l’excitation émotionnelle dans le cerveau» que leurs camarades qui avaient joué à «un jeu non violent mais prenant». Son collègue, le psychiatre William G. Krnoneberg, en arrivait à la conclusion que « les adolescents agressifs ou au comportement antisocial ont un profil d’activité cérébrale différents de celui qu’ont les adolescents normaux quand ils regardent des jeux vidéos».

 

D’un autre côté, ces études sont régulièrement infirmées par d’autres, et même polémiquées, jugées comme faisant partie d’un dispositif de manipulation politique visant à trouver un « bouc émissaire », une excuse à la délinquance lorsque les élus éprouvent du mal à la faire baisser.

Le psychanalyste Serge Tisseron par exmple, a lui aussi effectué une étude sur les conséquences des images violentes et du cinéma sur les enfants, à la fin des années 90. Cette étude avait montré que lesdites images avaient des conséquences différentes selon les enfants, puisqu’environ un tiers s’identifiaient à l’agresseur et avaient tendance à développer des comportements violents., que d’autres s’identifiaient aux victimes et avaient tendance à se laisser victimiser plus facilement, alors que les derniers s’identifiaient au redresseur de torts. Il semblerait donc que les tendances à la violences soient ancrées en chacun, provenant de facteurs nombreux et bien plus complexes qu’une simple habitude de jeu ou de visionnage.

En est-il cependant ainsi de tous les usages de la technologie actuelle ?

 

La génération « zapping » et l’apprentissage

 

Car bien évidemment, des conséquences sur la façon de fonctionner et d’apprendre des enfants sont à noter.

La crainte envers les jeunes générations provient surtout du fait que la matière grise, si elle croît jusqu’à l’âge de neuf ou dix ans environ, diminue ensuite car un tri se fait entre les connexions, celles qui sont le plus utilisées demeurant au détriment des autres. C’est donc à cette période d’apprentissage que les mécanismes qui lui sont inhérents se fabriquent pour le reste de notre vie.

Et il est vrai que des changements notables sont apparus chez les dernières génarations, habituées à bénéficier d’un nombre de contenus toujours plus important, de contenus toujours plus variés, ce qui semblerait, selon le journaliste Nicholas Carr, provoquer une baisse de l’empathie, une plus grande difficulté à se concentrer, à se projeter et à communiquer, et pourrait dans les temps prochain même influer négativement sur le QI.

Ces difficultés de concentration, et cette tendance au « zapping », nés de la volonté de tout voir, tout lire et tout connaître…mais en surface, seraient symptômatiques de notre époque selon de nombreux spécialistes, mais pas forcément négatives. Serge Tisseron parle ainsi de « nouvelles façons de fonctionner », encore inadaptées au système d’enseignement traditionnel et mal comprises des anciennes générations et donc des professeurs. Les enfants, adolescents et jeunes adultes auraient ainsi plus tendance à vouloir obtenir des réponses rapides, à passer rapidement d’un sujet à l’autre en ayant du mal à fixer leur concentration sur une tâche à la fois. Le psychanalyste ajoute cependant à propos de ces habitudes que « rien ne prouve à ce jour qu’elles soient inadaptées au fonctionnement qui sera exigé de chacun d’entre nous dans dix ou vingt ans », puisque l’essentiel pour un employé par exemple, est que sont travail soit réalisé en temps et en heure, et qu’importe la méthode.

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Culture du livre vs culture du numérique

 

Pour en revenir aux jeux vidéos, il est vrai qu’il a été noté que leur pratique, comme celle des nouveaux réseaux sociaux, modifie à la fois le rapport à l’espace, mais aussi au temps, à la construction de l’identité et à la place que nous donnons aux activités partagées ou aux activités solitaires. En parallèle, il permettrait une meilleure appréhension des situations et une capacité accrue à la prise de décision rapide.
Ce qui semble donc important ici, puisque ces pratiques comportent des risques mais peuvent aussi être bénéfiques, serait l’encadrement autour de celles-ci, comme c’est le cas pour tout lors de la période d’apprentissage liée à l’enfance et à l’adolescence.

Le livre par exemple, est souvent montré par les parents et le corps enseignant comme l’activité saine par excellence, et opposé au numérique. En réalité, et toujours selon Serge Tisseron, il s’agit surtout d’une révolution dans la relation aux apprentissages., Ainsi, il oppose la culture du livre, qui est la culture de l’unité, et celle des écrans, qui est celle du multiple : la lecture est bien souvent une activité solitaire, qui implique un lecteur et un livre, les écrits d’un auteur ; c’est une seule tâche, réalisée par une seule personne. A l’inverse, le numérique implique souvent plusieurs écrans ou fenêtres, plusieurs créateurs et plusieurs spectateurs, la réalisation de plusieurs tâches en parallèle, souvent inachevées. Le livre serait donc centré sur la temporalité et la mémoire, la pensée linéaire, quand le numérique permettrait la réflexion autour de différents stratégies et raisonnements, les essais et les erreurs, permettant d’apprendre à faire face à l’imprévisible. Enfin, le numérique valoriserait les identités multiples, avec les avatars par exemple, et donc l’expression de plusieurs facettes d’une personnalité, à l’abri des regards « réels ». Le clivage de soi ne serait alors plus considéré comme pathologique, faisant évoluer les modèles de la normalité.

Enfin, les deux cultures présentent des défauts : si celle du livre permet une ultra spécialisation des savoir, valorisant les apprentissages par cœur, elle n’offre donc pas l’accès aux apprentissages intuitifs et évolutifs. La culture numérique quant à elle, n’offrirait pas assez de recul cognitif et temporel pour valoriser la conscience de soi et les liens réels et forts ; elle nous pousserait à fuir la réalité, entraînant un risque de perte de repères identitaires.

 

Les chances que ces pratiques peuvent offrir, tout comme les risques qu’elles peuvent entraîner, sont donc à mesurer, mais nul besoin d’alarmisme. S’il est vrai que la culture des écrans prend peu à peu le pas sur celle du livre, le pourcentage d’enfants présentant des troubles mentaux par exemple reste stable. De plus, à ce jour, les spécialistes ne sont pas parvenus à démontrer l’existence d’une réelle addiciton au virtuel, aux jeux vidéo ou à Internet, mais tendent à dire que les phénomènes de renfermement proviendraient d’autres facteurs : il ne faut ici pas confondre la cause et les conséquences.

Il est en effet à noter que les jeux vidéos évoluent, et donnent de plus en plus d’importance à la sociabilisation. L’on conseille ainsi aux parents inquiets de savoir tout d’abord si leur enfant a tendance à jouer seul ou avec des amis, et s’il connaît ces amis dans la vie réelle ou non, la réponse la plus rassurante serait ici qu’il retrouve virtuellement ses camarades côtoyés dans la journée au xours de ses jeux virtuels. De la même manière, des études ont démontré que les jeunes ont tendance à utiliser les réseaux sociaux pour y retrouver des personnes de leur âge qu’ils connaissent, là où leur aînés apprécient la rencontre d’inconnus. Il n’y a donc ici pas d’effet de cloisonnement et de solitude, qui est la crainte de la plupart des éducateurs.

 

Pour une utilisation réfléchie et encadrée du numérique

 

Ce ne sont donc pas les écrans le danger, mais l’utilisation que l’on en fait. Bien entendu, il est tout de même primordial d’accompagner cette utilisation des écrans, d’en expliquer les fonctionnements, les risques et les réalités.

De plus, il a été démontré qu’entre trois et six ans, un enfant a besoin de réaliser de nombreuses tâches avec ses dix doigts afin que son cerveau apprenne à appréhender les trois dimensions. Il vaut donc mieux à cette période éviter l’utilisation de consoles de jeux qui ne mobilisent que deux ou quatre doigts, et un seul plan. Par la suite, il faut faire attention à ce que la pratique du numérique soit combinée de manière complémentaire à celle du livre, et d’activités sociales, sportives etc. et, qu’elles n’entraîne pas la réduction des autres activités nécessaires à un bon développement cognitif. On privilégiera de même les jeux socialisants, amenant à résoudre des problèmes et à développer l’imagination, plutôt que ceux présentant des activités répétitives et solitaires.

 

Les jeux vidéos, et dans une plus large mesure les activités liées au numérique, ont donc un impact sur le développement cognitif et notre façon d’appréhender les situations et la sociabilisation. Mais celui-ci peut être positif : il suffit que l’apprentissage fait au travers de ces pratiques soit encadré, et optimisé. Le numérique peut ainsi développer l’habilité, améliorer des performances cognitives et visuelles comme la prise de décision et la capacité d’apprendre à apprendre. Les jeux vidéos pour ne citer qu’eux sont en effet divers et variés, et, bien utilisés et combinés à d’autres manière d’apprendre, sont une bonne école pour de nombreux domaines.

 

Sources, pour en savoir plus :

 

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