De la plume au stylet : que devient le livre ?

Cet article est tiré d’une analyse du chapitre Les Modèles Économiques de l’Édition Numérique, écrit par Gérard Wormser, extrait du livre Pratiques de l’Édition Numérique.

Pratiques de l'Edition Numérique

Le modèle économique du livre s’est toujours trouvé en perpétuelle mouvance. Aujourd’hui, le développement des médias et la hausse des biens non marchands sur internet fait que le livre dans son fond ou dans sa forme est remis en cause. Cette liasse de papier en format poche ne serait plus dans l’ère du temps, trop lourd et peu pratique lorsqu’on veut le prendre dans ses bagages par dizaine. D’autre part, face aux applications Kiosque ou iBooks de nos appareils connectés et à la distribution gratuite sur internet des ouvrages; quelle place reste-t-il aux livres papier dont le prix au plus bas varie entre 7 € à 20 € ? C’est ce que tente d’appréhender Gérard Wormser.

 

Comme nous venons de l’énoncer, le facteur essentiel de cette problématique est le changement du modèle économique du livre. Par ailleurs, il faut souligner que cette économie c’est rompue en plusieurs temps. Plusieurs symptômes auraient pu engager une remise en question plus précoce, le premier fut l’émergence de la musique et de la vidéo sur des supports compacts. Puis, rapidement la vente à distance propose une alternative facile et rapide à l’achat en boutique tout cela s’accompagnant par la généralisation des canaux de distribution. Enfin, le troisième levier et non des moindres fut la généralisation des appareils mobiles de diffusion, l’utilisateur nomade, toujours en quête de gain de temps et d’argent, a désormais tout pour répondre à ses besoins. On peut alors se demander ce qui a bien pu retarder à ce point, l’adaptation du livre à ces nouvelles pratiques. À cela on peut répondre que l’édition papier relève d’un modèle économique particulier dû au copyright. Mais pour autant, « le livre classique n’est plus la seule forme de transmission du savoir, ni peut-être la principale » selon Gérard Wormser. Les premières adaptations de l’économie du livre au numérique a produit une réduction de l’emprise des éditeurs, ce qui a donné naissance aux livres numériques qui se traduisent par une version numérique augmentée ou multimédia. Ces premiers essais ont pour le moment reçu un accueil favorable du public mais il est tout de même difficile d’imaginer l’abolition de l’édition papier au profit de l’édition numérique. En effet, le livre papier comporte toujours certains avantages comme la gratuité pour un prochain lecteur, le fait que pour les auteurs et les éditeurs leur côte soit évaluée sur le livre papier ou encore le fait que la mutualisation des bibliothèques permette d’en baisser les coûts. De l’autre coté, l’édition numérique donne au lecteur les pleins pouvoirs et non plus l’éditeur. Face à cela, nous sommes forcés de constater le succès des livres papier à travers les siècles grâce aux prix littéraires, abonnements, ouvrages scolaires, au commerce de masse mais aussi grâce au catalogue qui permet le phénomène de la longue traine. Alors comment passer du papier au numérique, doit-il s’agir d’une mutation ou d’une mise à mort ? Au regard de cette dualité de nouveaux circuits commerciaux se mettent en place.

L’enjeu de l’édition est aujourd’hui de s’adapter aux nouvelles pratiques, la question est de savoir comment vendre de l’information qui est bien souvent librement et gratuitement disponible partout sur internet ? Certains comme L’Encyclopedia Britannica, ont choisi de faire un grand bond en avant en cessant d’imprimer et en mettant en place un libre service en ligne. D’autre, pour composer avec ces nouvelles pratiques et usages, face à Wikipedia ou l’obsolescence est omniprésente, se déploient sur les deux supports : papier et numérique. C’est le cas de grandes enseignes comme la Fnac qui a créé un service de librairie en ligne et propose à la vente sa propre tablette de lecture Kobo. Enfin, dans ces nouveaux circuits commerciaux l’enseignement et la recherche se trouvent mis à mal du fait que les universités se voient contraintes de diffuser gratuitement les ouvrages afin de justifier les fonds et subventions allouées. Aux antipodes nous retrouvons l’édition de loisir, ou la mutation vers le numérique n’est pas encore faite mais où les enjeux sont grands.

Face à l’émergence de nouveaux circuits commerciaux, de nouveaux modèles d’édition se créent afin de s’adapter au mieux au lecteur. Mais où se trouve le bon filon ? Tout l’enjeu de l’édition papier, ainsi que numérique, a toujours été de sécuriser des revenus et pour cela, il faut innover. On retrouve trois démarches différentes, la première celle de la presse et plus particulièrement celle de Médiapart, est de prendre le parti de proposer un journal orienté « B to B » sans publicité ce qui le rend donc payant. Le second modèle est celui des revues scientifiques qui engagent comme démarche de faire payer les producteurs de l’information afin de rendre la revue gratuite pour le lecteur. Enfin, le dernier modèle lié selon Gérard Wormser à la mondialisation, est celui des livres d’art et de voyage qui sont en pleine mutation face à des concurrents numériques tels que YouTube, Flickr ou encore Fotolia. Cette catégorie de l’édition mérite bien des réflexions, il s’agit d’éditions de qualité et souvent onéreuse alors tout l’enjeu réside dans le fait de préserver ses caractéristiques dans l’adaptation numérique. Aujourd’hui, dans l’édition ce qui importe pour le lecteur ce n’est plus tant le contenu de l’ouvrage qu’il achète ou télécharge mais c’est l’expérience qui est au coeur de ces nouveaux modèles économiques. Les pratiques actuelles des lecteurs font qu’aujourd’hui, il opère un survol rapide ainsi qu’un croisement des références plutôt qu’une recherche de fond.

De ce fait, ces nouvelles pratiques ont donné naissances à des formats hybrides. Afin de réussir cette adaptation numérique, on recherche des compétences dans l’écriture multimédias puisqu’il faut désormais composer avec le droit s’appliquant sur internet, les normes de citations, d’emprunts. Désormais, l’édition numérique grand public se traduira par des anthologies et autre groupement de textes et des références. Nous aurons donc comme le pense Gérard Wormser, une oeuvre ouverte comme celle imaginée par Umberto Eco. Il faudra également composer avec les réseaux sociaux qui sont aujourd’hui les principaux acteurs de la prescription numérique. Enfin, comme l’énonce Gérard Wormser il y a fort à croire que l’avenir de l’édition numérique se joue entre un contenu de base gratuit et un contenu enrichi qui sera lui payant.

 

Pour conclure, Gérard Wormser explique que pour lui l’édition numérique est comme une boite à outils qui s’adapte à des publics identifiés et segmentés. Pour ma part, je ne réfute pas entièrement son propos, mais il mérite à mon sens d’être nuancé. Chaque catégorie de l’édition que ce soit la presse quotidienne, les revues, les ouvrages de loisirs ou scolaires/universitaires ne devront pas en effet, répondre à un même modèle d’édition numérique. Chaque domaine doit trouver son essence même, puis à partir de cette dernière, trouver un modèle d’adaptation numérique le préservant, comme pour les livres d’arts et de voyages qui doivent continuer de faire valoir leur préciosité. Le virage du numérique me semble inévitable mais n’est pas pour autant synonyme de mise à mort du papier. C’est une autre économie mixte qui doit se mettre en place, le but n’étant pas de faire des doublons d’une édition papier en perte de vitesse mais de trouver les usages de quel contenu pour quel public. Pour moi, le livre papier ainsi que le livre numérique doivent fonctionner comme deux partenaires de tango, ou la coopération des deux est la condition sinéquanone de la réussite du couple.

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